C'était il y a très, très longtemps, si longtemps même qu’on ne saurait dire. Les dieux avaient déjà créé les vastes mers, les longs fleuves et les rivières paisibles, les hautes montagnes et les volcans. Ils n’avaient pas oublié les arbres ondulant dans le vent et les plantes exubérantes. De nombreux animaux peuplaient la Terre. Pourtant, il y régnait un profond silence. En ce temps-là, le monde était plongé dans l'obscurité ! Il n'existait pas de soleil pour l'éclairer et révéler la beauté des fleurs et les plumes colorées des perroquets et des colibris. Quetzalcoatl, le serpent à plumes, un dieu fort et redouté, réunit tous les autres dieux et leur dit :
« Nous avons créé un monde très beau, mais on ne peut pas l'admirer. L'un d'entre nous doit devenir un soleil. C'est une grande responsabilité, car il fera éclore les fleurs et pousser le blé. Ceux qui sont volontaires devront subir l'épreuve du courage, car on ne peut pas confier cette tâche à n'importe qui.
— Moi je voudrais être le soleil, annonça, d'un ton arrogant, un jeune dieu appelé Tecuciztecatl. Je suis fort et courageux, je serai un bon soleil.
— Bon, répondit Quetzalcoatl. Quels sont les autres volontaires ? »
Il n'y en eut pas d'autres, ce qui fut fort gênant.
On remarqua alors un petit dieu qui n'avait rien dit : c'était un nain, tout rabougri et laid comme un pou. Il était couvert de pustules et... il ne sentait pas très bon !
« Eh bien, on n'a qu'à dire que tu es volontaire.
— D'accord, si vous voulez, répondit timidement Nanautzin-le-nain, de sa voix de grenouille. »
Tout le monde fut soulagé.
« Voici comment cela va se passer, expliqua Quetzalcoatl le serpent à plumes. Tout à l'heure, sur la colline, Tecuciztecatl et Nanautzin devront se jeter dans un grand feu pour prouver leur courage. »
Vers la tombée de la nuit, l'heure était venue. Le feu crépitait et lançait des étincelles haut dans le ciel. Tecuciztecatl, paré d'habits brodés, de plumes et de bijoux, s'approcha du brasier, tout fier et sifflotant. Tout d'un coup, aveuglé par la lumière vive et ressentant la chaleur ardente, il fit une grimace et s'arrêta. La peur brusquement paralysait ses jambes. Il recula puis essaya de nouveau, en vain. Les autres dieux étaient surpris et attendaient sans rien dire.
Nanautzin apparut alors près de Tecuciztecatl. Il le regarda dans les yeux, sans crainte, d'un air moqueur. Il bondit soudainement sur ses pieds nus puis se jeta dans les flammes sans hésitation. Tous entendirent un cri mais ne surent jamais si c’était de douleur ou de bonheur.
Les dieux étaient stupéfaits. Ça alors ! Qui l'aurait cru ? Ce nain à tête de crapaud, cet avorton riquiqui ! Quel courage ! Quetzalcoatl déclara :
« Nanautzin, nous reconnaissons en toi un grand dieu, injustement méconnu. Le courage n’est pas toujours chez ceux qui en parlent le plus. Il n’est pas toujours placé où on l’attend. Parfois, il apparaît chez les modestes et les timides ! »
Quetzalcoatl et les autres dieux attendirent alors avec impatience le lever du soleil. Bientôt, à l'horizon, s'éleva, lentement, une boule de feu, rouge et brûlante, éblouissante et fascinante. C'était Nanautzin, le nouveau dieu-soleil. La terre frissonna, la lumière du jour illumina le manteau vert émeraude de la forêt. Les fleurs s’ouvrirent et se tournèrent vers lui pour le saluer. Les oiseaux se mirent à chanter pour le féliciter. Le tigre, fier de son pelage rayé, s'étira et partit chasser, ravi.
Depuis, chaque jour, Nanautzin-le-soleil est fidèle au rendez-vous, et tous les dieux reconnaissent et louent sa puissance et sa valeur.
D’après R. P. Fray Bernardino de Sahagûn, Histoire des choses de la Nouvelle-Espagne